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LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

On aurait dit les rôles partagés d’avance. Deux groupes se formèrent, les auditeurs et les exécutants. Gilberte se trouva placée entre Mme Charmeron, réputée pour son mutisme et sa distinction, et le fils Simare, le jeune homme le plus élégant et le plus dissipé de la ville. Il allait deux fois l’an à Paris et passait pour spirituel et railleur. De fait, il commença aussitôt ses moqueries.

« Ah ! l’ouverture du Cheval de bronze par une demoiselle Charmeron et une demoiselle Bottentuit. Début obligatoire ici. Il y a dix ans, paraît-il, c’était Mme Bottentuit et sa sœur, Mme Charmeron, qui l’exécutaient ; aujourd’hui, ce sont leurs héritières. Remarquez la tenue correcte de ces jeunes personnes. Leur idéal est de réaliser l’aspect de deux bâtons vus de dos. Elles s’y exercent quatre heures durant, chaque matin… »

Les derniers accords plaqués, il reprit :

« Maintenant la jeune Charmeron va s’en aller par la droite en emportant son tabouret, la jeune Bottentuit va se glisser au milieu du clavier, et d’exécutante va devenir accompagnatrice de papa. Hein ? que vous disais-je ? Ah ! mais, c’est que tout cela est d’un réglé ! Attention ! Me Bottentuit, avoué, le hurleur du salon… il va éclater… il éclate… je vous défie de comprendre un mot de ce qu’il dit… voilà dix ans que cela dure, et personne n’y est jamais parvenu… Excusez-moi… obligé de me taire… le misérable crie trop fort. »

Après Me Bottentuit, Mlle du Bocage, une petite vieille dont la bouche s’ouvrait si démesurément quand elle chantait, qu’on plongeait jusqu’au fond de