Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/44

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VI

Plusieurs chemins conduisaient à Saint-Élophe. La grand’route d’abord, qui s’allonge en serpentant sur une descente de trois kilomètres, puis quelques raccourcis assez abrupts, et enfin, plus au nord, la sente forestière dont une partie borde la crête des Vosges.

— La route, hein ? dit Morestal à son fils.

Et, dès qu’ils furent en marche, il lui prit le bras avec allégresse.

— Figure-toi, mon garçon, que, tout à l’heure, au campement, nous avons rencontré un des lieutenants de la compagnie en manœuvre. On a causé de l’affaire Saboureux, et, ce soir, il doit nous présenter à son capitaine, qui justement est neveu du général Daspry, commandant le corps d’armée. Alors, tu comprends, je lui expose ce que j’ai fait au Vieux-Moulin, il le communique à son oncle Daspry, et voilà, du coup, le fort Morestal classé…

Il rayonnait, la tête haute et le torse bombé, tandis que sa main libre exécutait avec une canne des moulinets belliqueux. Une fois même, il s’arrêta, se mit en garde et frappa du pied.

— Trois appels… Engagez le fer… Fendez-vous ! Hein ! qu’est-ce que tu dis de cela. Philippe ? Encore d’attaque, le vieux Morestal.

Philippe souriait, plein de tendresse. Maintenant que, sur le conseil de Marthe, il avait retardé l’explication douloureuse, la vie lui paraissait meilleure, toute simple et toute facile, et il s’abandonnait au plaisir de retrouver son père, les paysages qu’il aimait, les souvenirs d’enfance qui semblaient l’attendre à tous les coins de la route et se lever à son approche.

— Rappelle-toi, père, c’est ici que je suis tombé de bicyclette… J’étais sous cet arbre quand la foudre l’a brûlé.

Ils faisaient une halte, évoquaient toutes les circonstances de l’événement, et repartaient bras dessus, bras dessous.