Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/165

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intérêt à se cacher lui-même, à éviter d’attirer l’attention. Une dénonciation le perdrait irrémédiablement. Donc, il garderait le silence jusqu’à la dernière extrémité.

Maintenant, qu’exigeait cet homme ? Un refuge et du pain, du moins pour le moment.

Florence lui accorderait l’un et l’autre, tant qu’elle pourrait exercer sur lui une surveillance efficace. Le jour où le bandit voudrait recommencer ses exploits, elle saurait bien l’en empêcher par tous les moyens possibles. Tout ce qu’elle avait entrepris jusqu’ici pour faire triompher ce qu’elle trouvait juste, pour défendre le bien contre le mal, ne l’avait-elle pas réussi ? Pourquoi ne triompherait-elle pas de Sam Smiling comme des autres ? Et si elle devait succomber dans cette lutte redoutable, si son secret fatal finissait par être rendu public, au moins serait-elle courageuse jusqu’au bout. Et qui sait si alors Max Lamar, touché, comprenant la fatalité qui pesait sur sa vie, ne lui serait pas indulgent.

À ce moment, l’image de celui qu’elle aimait envahit l’âme de Florence Travis. Mais elle eut un frisson. Ces rêves étaient fous. La réalité horrible était qu’un bandit la tenait à sa merci et pouvait d’un mot la déshonorer à jamais…

Une voix interrompit brusquement sa rêverie. C’était Mary qui venait d’entrer.

— Allons ! ma petite Flossie, il faut descendre dîner, disait la gouvernante… Voyons, du courage…

— J’en ai ! j’en ai plus que jamais, dit Florence avec une animation fébrile. As-tu fait ce qu’il fallait ?

— Oui. J’ai entr’ouvert la porte du garage et j’ai préparé moi-même à la cuisine quelques provisions dans un panier que je lui descendrai à la nuit.

— Je t’accompagnerai, dit résolument Florence.

Mary hésita.

— Si vous voulez, ma chérie, dit-elle enfin. Après tout, il vaut mieux que vous parliez vous-même à cet homme…

Elles descendirent dans la salle à manger, où les attendait Mme Travis.

En vain, cette dernière chercha-t-elle sur le visage de Florence les traces du trouble qu’elle avait manifesté en la quittant. La jeune fille semblait transformée, gaie, vivante. Elle fut, au cours du repas, charmante d’esprit et de bonne humeur.

Mme Travis en était ravie.

— Quelle petite fille fantasque tu fais, ma Florence. Enfin, j’aime mieux te voir ainsi joyeuse et insouciante. Le pli qui tout à l’heure barrait ton front m’avait tant inquiétée.

— Ah ! chère petite maman, que tu es bonne ! Chasse toute inquiétude à mon sujet. Nous serons toujours heureuses.

À cet instant, Mary esquissa un signe. Florence se leva.

— Je vais y faire un tour avec Mary, dit elle. Te retrouverai-je ici, maman ?

— Je ne le pense pas, répondit Mme Travis. Je suis tellement fatiguée que je désire aller me coucher tout de suite.

— À demain donc maman, dit Florence en tendant son front.

— À demain, ma petite Flossie, dit Mme Travis en l’embrassant.

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Depuis une heure au moins, Sam Smiling, ayant pénétré par la porte entrebâillée, attendait dans un coin obscur du garage.