Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pendant ce temps, Johnny Mac Quaid, juché sur un immense tabouret, devant le comptoir d’un bar où il venait d’entrer, commandait gravement un grog aromatisé de whisky. La carte de Max Lamar était dans la seule de ses poches qui ne fût pas percée. Il la remettrait tout à l’heure. Pour le moment, il avait soif et il buvait. Il était un homme, il avait de l’argent, il avait assisté à des événements sensationnels, il était chargé d’une mission importante, la terre ne le portait plus.

C’est seulement quand il eut dégusté jusqu’à la dernière goutte sa consommation, et qu’il en eut majestueusement réglé le prix, qu’il quitta le bar et se mit à la recherche d’un policeman.

Il en avisa au coin d’une place voisine, non pas un, mais deux qui causaient ensemble avec animation.

— Je te dis qu’ils ont dû tourner à gauche, en sortant de l’allée, affirmait celui-ci à son compagnon.

— Allo, dit Johnny, en le tirant par sa manche. Voulez-vous voir ça ?

Surpris, l’homme prit la carte et lut :

Max Lamar
médecin légiste
Suivez ce garçon. J’ai besoin d’aide.

Les deux policemen étaient précisément ceux qui avaient accompagné Max Lamar au cours de la poursuite. Sans demander de plus amples explications, ils suivirent Johnny vers le terrain vague.

Max Lamar ne s’y trouvait plus, mais Johnny fournit ses explications et désigna la trappe. Les deux hommes, conjecturant que le médecin, qu’ils considéraient comme un de leurs chefs, s’y était aventuré sans les attendre, se hâtèrent à leur tour d’y descendre. Mais ils ne permirent pas à Johnny, qui trépignait de rage, de les suivre.

Lorsque le vieux Barden eut laissé, au-dessus de sa tête, retomber la trappe, il poussa, pour l’obliger à descendre, Bob, qu’il tenait toujours par l’épaule.

Bob, en se trouvant dans une sorte de puits inconnu, au milieu des ténèbres, et sur une échelle qui craquait sous son poids, fut plus terrifié que jamais. Cependant, il obéit sans résistance.

L’échelle aboutissait à une étroite cave, en partie éboulée, où se traînait la vague clarté filtrant à travers un soupirail presque comble. Une sorte de boyau tortueux s’y ouvrait, que les deux hommes, sur un espace de cent cinquante mètres, parcoururent jusqu’à une autre cave à demi obscure, encombrée de futailles vides. Jim en déplaça quelques-unes, entassées dans un angle, démasqua ainsi un petit escalier et se mit à gravir les marches disjointes en entraînant Bob qui aurait vivement désiré être ailleurs.

Le vieux Barden souleva une trappe et tira brutalement après lui son compagnon.

Ils se trouvèrent dans une petite pièce délabrée, éclairée par un demi-jour sinistre, et où il y avait pour tous meubles une vieille table en bois blanc et deux chaises boiteuses en paille grossière.

Jim Barden avait laissé retomber la trappe.

Implacable, il se retourna vers son fils et le saisit par les bras avec une violence sauvage.

— Tu es un bandit ! Voilà ce que tu es, gronda-t-il, d’une voix qu’étouffait la fureur. Pourquoi ? Je ne t’ai laissé manquer de rien dans ton enfance ! Je t’ai protégé contre le mal ! Je t’ai donné un métier pour vivre honnêtement. Tu as eu tout ce que je n’ai pas eu ! Ah ! des êtres comme toi n’ont pas le droit de vivre !

Il le repoussa brutalement. Bob, épouvanté, n’avait pas dit un mot. Le vieux Barden, haletant, le visage convulsé, resta quelques instants immobile.

Il revint vers son fils, le prit par l’épaule avec tant de force que l’autre eut un gémissement. Puis, ouvrant une porte, il le poussa dans une pièce contiguë à la première.

C’était une chambre plus étroite encore. Un petit lit de fer disloqué, un tabouret dépaillé et un vieux petit buffet, sur lequel étaient posés une cuvette et un pot à eau égueulé, la meublaient. Au mur, à côté d’une gravure déchirée, une serviette était pendue à un bec de gaz, près d’une petite fenêtre très éloignée du plancher.

D’une poussée brusque, Jim jeta son fils sur le lit et brandit comme des massues ses poings redoutables.

Bob, pour parer les coups qu’il sentait venir, leva ses coudes devant son visage ; mais le vieux Barden, dans un effort suprême, se calma. Sans toucher son fils, il laissa retomber ses bras. Il retourna dans la première pièce, s’assit devant la table, la tête dans ses mains.

« En voilà une histoire ! Pour de la guigne, je peux dire que j’ai de la guigne,