Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/15

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ques de Mme  Bresson, et il se peut fort bien que nous ayons ressenti certaines impressions qui n’ont aucun rapport avec la réalité. Ce qui ne fut qu’un cri d’oiseau ou de bête effrayée, nous lui avons donné la signification d’un cri de détresse humaine. Erreur collective, fort explicable. »

Chose curieuse, l’hypothèse de Boisgenêt fut admise sans résistance et avec une telle conviction individuelle que, par la suite, on ne pensa plus du tout à l’incident et qu’il n’en fut plus question jusqu’à la minute où il reprit sa place dans la suite des événements qui constituèrent le drame du château d’Orsacq. Seule, Léonie resta un instant soucieuse. Son mari lui souffla à l’oreille :

« Imbécile ! c’est de ta faute. Quand on n’a que des prophéties de ce genre à faire, on se coud le bec ! »

Et, comme il la voyait encore tout absorbée, il lui pinça le bras avec une telle âpreté qu’elle gémit de douleur. Réveillée sur le champ, elle eut la présence d’esprit de pouffer de rire et d’esquisser un pas de danse.

« Eh bien, vrai ! je crois que je vous ai eus ! Vous êtes tous verts, tous. Vanol, vous allez piquer une crise. Un peu de ressort, voyons sans quoi notre fête vénitienne est à l’eau. »

Elle reprenait ses castagnettes et se remettait à pousser des ollé et des caramba, lorsque la porte s’ouvrit et Lucienne d’Orsacq apostropha la danseuse.

« Ayez pitié de moi, ma petite Léonie, je suis sûre que vous avez dans votre collection des jeux plus paisibles. Vous ne m’en voulez pas ?

— Tu as raison, Lucienne, répondit d’Orsacq. Mais pourquoi dors-tu à cette heure ? Accompagne-nous dehors… »

Il fit quelques pas dans l’escalier, mais Lucienne avait déjà refermé la porte de son boudoir.

« Crac ! dit-il, le véronal est le grand maître…

— C’est pourtant Lucienne, dit Léonie Bresson, qui nous a priés d’arranger quelque chose au bord de l’eau. Elle avait donc bien l’intention d’être des nôtres.

— Ne nous creusons pas la tête, fit son mari, en l’entraînant. D’Orsacq, j’allume les ampoules de la berge et j’illumine le vieux radeau, hein ? »

Bresson et sa femme sortirent. Vanol objecta :

« Et s’il pleut ? Il y a de gros nuages.

— Et après ? dit le comte, ne faut-il pas laisser le champ libre à l’assassin ? »

Vanol et Boisgenêt se tenaient sur le seuil du salon. Jean d’Orsacq s’approcha de Christiane Debrioux et lui dit à voix basse :

« Il faut que je vous parle.

— Qui vous empêche ?… répondit Christiane.

— Mais vous, en évitant tout entretien intime. Pourquoi me fuir ?

— Je ne vous fuis pas.

— Je vous répète que j’ai à vous parler.

— Tout ce que vous avez à me dire, vous pouvez me le dire tout haut. »

Il eut un geste d’impatience.

« Mais non… mais non… J’exige cet entretien… Je saisirai la première occasion. »

Elle le regarda, le buste droit, dans une attitude de fierté, où il n’y avait cependant ni antipathie ni colère, mais avec un souci visible de ne pas obéir. Puis, elle se détacha en disant :

« Attendez-moi. Mon mari ne semble pas décidé à venir.

— Nous n’avons pas besoin de lui.