Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/57

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core à des contradictions et à des difficultés… tout de même, quel point de départ pour atteindre le but !

— En suivant quels chemins ?

— Eh ! mon Dieu ceux qui nous ont déjà réussi, mon cher ami répliqua M.  Rousselain que le bourgogne avait le don de rendre affectueux et familier. Les chemins par où nous ont menés les acteurs mêmes du drame ! N’est-ce pas eux qui nous dirigent ? Et n’est-ce pas naturel ? Comment ! voilà des gens, ainsi que je vous l’ai dit, sur lesquels nous ne possédons aucune donnée psychologique, dont nous Ignorons tout, caractère, goût, habitudes, ambitions, et nous voudrions que, dans un crime aussi passionnel que celui-là, nous pussions nous diriger nous-mêmes ? Mais il faut des semaines à la justice pour déchiffrer l’énigme des sentiments cachés et des instincts dissimulés ! Tandis qu’eux, ceux-là, ils savent, ils ont des points de repère, des souvenirs communs, un passé où furent mêlées leurs existences. Ils débrouilleront l’écheveau.

— De quelle façon ? L’un est enfermé. Les deux autres sont chacun dans une chambre.

— Mais ils travaillent pour nous ! À quoi bon nous creuser la tête, échafauder des hypothèses, alors qu’ils sont, eux, en pleine réalité ? La pensée de chacun d’eux est obsédée par le problème. Bernard Debrioux ne songe qu’à détourner les soupçons. D’Orsacq veut le déshonorer sans pourtant le croire capable du crime. Et la belle Christiane se débat au milieu du naufrage.

Le substitut insinua :

« Je me demande malgré moi, monsieur le Juge d’instruction, s’il n’y a pas partie liée entre ces deux-là, entre Mme  Debrioux et d’Orsacq. D’Orsacq aime Mme  Debrioux. Supposons que celle-ci aime d’Orsacq…

— C’est fort plausible.

— En ce cas, qu’est-ce qui les sépare, ou plutôt les séparait ? Mme  d’Orsacq. Alors, ne devons-nous pas envisager leur complicité, leur action commune en vue de supprimer cet obstacle, et ensuite de se débarrasser du mari par cette affaire de vol ? « Fecit cui prodest… »

— Cette idée m’est venue, répondit le juge d’instruction. Si le crime a été commis par eux, il est hors de doute qu’il l’a été par les deux, puisqu’ils ne se sont pas quittés un instant, de la minute où Mme  d’Orsacq apparut en haut de cet escalier, à la minute où l’assassinat fut découvert par d’Orsacq et Boisgenêt. Mais, d’autre part, de cette minute à cette minute, ils ne sont pas restés seuls ensemble un seul instant.

— Pardon. Après la pluie, ils sont rentrés au château à dix heures et quart, et ils sont restés seuls environ quinze ou vingt minutes. Ravenot et Amélie ont bien fait une brève apparition. Mais ne suffit-il pas d’un moment pour grimper cet escalier, s’introduire là-haut, tuer et redescendre ? »

M.  Rousselain réfléchit.

« Matériellement, ce n’est pas inadmissible, et le fait qu’ils ne se sont pas quittés de la soirée montre bien que si l’un a agi, l’autre ne peut pas ne pas le savoir. Et pourtant, je n’ai pas eu l’impression de leur accord pendant que le comte d’Orsacq accusait Debrioux. La femme m’a semblé réellement indignée.

— Comédie, peut-être…

— Peut-être. Elles sont si comédiennes, les dangereuses créatures ! soupira M.  Rousselain, dont l’œil agrandi évoquait de jolies silhouettes d’autrefois… si dangereuses et si déroutantes, mon cher ami ! Il est difficile de ne pas relever l’aisance avec laquelle celle-ci, qui semblait soutenir son mari, se détourna brusquement de lui à la fin de l’interrogatoire.