Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/58

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— Vous voyez bien…

— Pas de conclusions hâtives, mon cher ami ! s’écria M.  Rousselain. Laissons-les manœuvrer. S’ils sont complices, et s’ils veulent manigancer quelque chose entre eux, ils se verront. J’ai voulu leur en laisser toute latitude… Sous réserve de les surveiller », ajouta t-il en riant.

Les deux magistrats se dégourdirent les jambes avant de reprendre l’instruction. Ils allèrent dehors en utilisant et en examinant l’escalier de service et la porte basse par où Bernard Debrioux avait pénétré dans le château le soir précédent. Ils rejoignirent ainsi le côté droit du parc, qu’ils traversèrent du pied de la tour à la rivière.

Cette avenue, que Bernard avait suivie la veille, était bordée d’une double haie de lauriers, et comme ils en avaient parcouru la moitié, M.  Rousselain fit une halte brusque et chuchota :

« Qu’est-ce que c’est donc que cela ? »

À droite, par-dessus les lauriers plus bas, ils apercevaient dans l’épaisseur des taillis un homme qui semblait à l’affût.

« C’est Ravenot, murmura le substitut.

— Le maître d’hôtel !… Oui, en effet… On dirait qu’il cherche, qu’il épie… »

Ravenot, toujours penché en deux, fit quelques pas vers la rivière, en prenant de telles précautions, que les brindilles sèches et les feuilles mortes ne craquaient point sous ses pieds. Il s’arrêta et repartit, la tête en avant, comme s’il flairait une piste. Nouvelle halte. Il prêta l’oreille.

« Vous entendez quelque chose ? souffla M.  Rousselain.

— Rien du tout. Et je ne vois rien non plus.

— Pourtant, il a bien l’air de guetter… Ne pensez-vous pas que c’est un drôle de type que ce Ravenot et qu’il n’a pas une mine très catholique ? Et puis, pourquoi abandonne-t-il son service ? »

Le substitut observa :

« Il est une heure et demie. Le personnel a fini de déjeuner et Ravenot se promène.

— Drôle de façon de se promener !… À quatre pattes. Que peut-il faire là ? Surveille-t-il quelqu’un ? »

Ravenot rampait presque, se soulevant parfois sur ses bras tendus et regardant.

Soudain, il s’aplatit parmi les hautes herbes et on ne le vit presque plus. En même temps, un bruit léger venait de la rivière, ou plutôt des monticules qui la dominaient, un bruit qui s’accentua, pareil au galop d’une bête lâchée à travers les feuilles et les branches.

— Crebleu ! dit le substitut en reconnaissant un gros chien de garde qu’il avait remarqué à l’attache, près de la maison du jardinier, Ravenot est en mauvaise posture.

Le chien piquait droit vers le maître d’hôtel, comme s’il eût voulu se précipiter sur lui. Mais, en approchant, il jetait des jappements qui ressemblaient plutôt à des cris de joie. Et il sauta, piétina et lécha l’homme étendu qui ne bougeait pas, et auquel il se mit à prodiguer des démonstrations de l’amitié la plus folle. Un coup de sifflet jaillit là-bas. Et une voix de femme appela :

— Fédor !… Fédor !… où donc es-tu, animal ?

Entre les monticules sous lesquels les grottes étaient creusées, il y avait des dépressions de terrain qui descendaient jusqu’à la rivière. C’est par une de ces dépressions couvertes de ronces que la femme de chambre apparaissait, tenant une laisse à la main. De l’endroit où elle se trouvait, elle ne voyait ni les magistrats, cachés derrière les lauriers, ni son mari enfoui sous les herbes. Mais on l’apercevait, elle, sur la hauteur, à une distance qui ne devait pas dépasser quatre-vingts mètres.

Elle souriait comme toujours, nu-tête et gracieuse de lignes, avec son tablier noir serré à la taille. Et elle dit assez haut pour que l’on perçût ses paroles :

— Pas tant de bruit, Fédor. Aujourd’hui, il ne faut pas aboyer comme ça, ni faire le fou… Allons, finie la promenade, on va rentrer comme un Fédor bien sage.

Elle agrafa la laisse au collier du chien et disparut avec lui au revers du coteau.

Or, cinq minutes plus tard, elle n’avait pas encore débouché à l’extrémité de l’avenue où s’amorçait le chemin des grottes qui suivait la rivière.

Elle s’était donc arrêtée ? Cependant Ravenot avait repris sa marche, toujours silencieuse, mais plus rapide.

— C’est assez bizarre, tout cela, dit M.  Rousselain. Je ne serais pas étonné qu’il y eût quelque galant sous roche. La demoiselle a des yeux de perdition.

— Bigre ! mais alors ce serait inquiétant.

— Pourquoi ?

— Dame ! Si le mari est jaloux ! Rappelez-vous son altercation avec Boisgenêt.

Justement, Ravenot, tout en avançant, avait ramassé une racine d’arbre, taillée en massue. Et tout à coup, il se mit à courir vers l’emplacement où l’on avait aperçu sa femme. Celle-ci demeurait toujours invisible. Ravenot se glissa au creux de la dépression, courant, mais avec des précautions encore.

— Hâtons-nous, dit M.  Rousselain. Le galant va « écoper ».

Ils n’eurent pas le temps d’aller bien loin. Des cris étouffés leur arrivèrent qui partaient, cette fois, d’un lieu situé plus à gauche, aux environs sans doute de la première grotte. Et presque aussitôt Amélie bondit dans l’avenue. Elle les aperçut et les appela, en gesticulant. Elle tenait en laisse Fédor, qui aboyait furieusement. Et tout de suite, elle disparut de nouveau, retournant vers la grotte.