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LE SCANDALE DU GAZON BLEU

— Non, je ne vais pas trop loin ! Non, je n’exagère pas. Ma parole, vous semblez inconscients tous les trois. Je vous le répète, ce que nous avons fait est inqualifiable, impardonnable, Moi, tout du moins, je ne me le pardonnerai jamais. Des gens comme nous, de notre éducation, de notre culture, de notre rang social n’agissent pas comme des habitués de partouses et de maisons louches, comme des galopins perdant la tête dans un premier excès ; des gens comme nous ne boivent pas dix verres de champagne, ne courent pas les routes au hasard de leur ivresse, ne s’arrêtent pas pour trinquer… et le reste, avec une fille publique, un marlou et deux danseuses nues. Amusement… soit ! Distractions fortuites et pas bien graves, soit encore si tout se termine bien, mais si tout ce beau monde culbute sur l’herbe et qu’il y ait de la casse, alors tant pis pour eux !… Dans le cas, tant pis pour nous !…

— Mais enfin, que crains-tu ? répéta Antoine obstiné. Encore une fois il n’y a pas eu de scandale public !

— Non, pas sur le moment. Mais il y a eu crime et un crime doit être châtié. C’est comme ça. Vous aurez beau dire. Il est inutile de se payer de mots. D’un côté il y a la Justice ; de l’autre le coupable… les coupables, et le seul fait d’être là est déjà une complicité.

Patrice avait parlé avec une impitoyable véhémence. À ses paroles, le froid de la peur saisit ses auditeurs. La vérité de leur relative complicité évoquée par l’avocat leur donnait un malaise presque intolérable. Ce qu’ils n’avaient voulu considérer que comme une défaillance sans importance, prenait pour eux un caractère coupable et menaçant. Dominique ne disait plus rien, immobile, les yeux fixés droit devant elle. Richard se taisait lui aussi. Seul, Antoine essaya encore de réagir, de plaisanter,

— Ah, tout de même, mon vieux, tout de même tu as le délire de la persécution. Je t’assure, malgré toute l’admiration que j’ai pour toi, tu verses dans la déformation professionnelle. Tu ne vois plus que la Loi avec plusieurs L majuscules. Quoi ? Qu’avons-nous fait d’autre que ce que font tous les jours ou plutôt toutes les nuits une foule de gens, de la plus haute classe sociale, comme tu dis ? Des ministres, des sénateurs, quand ils en sont encore capables, des