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GRISERIE

ce même restaurant du Bois. Et ces mots elle les répéta avec une tendre et grave ferveur.

— Je suis heureuse, je t’aime… Comme c’est bon, Patrice, notre vie !… sûre, droite, avec notre amour si beau… Je ne conçois pas qu’on puisse vivre autrement, ajouta-t-elle avec un étonnement presque candide qui fit sourire son mari.

— Ma chérie, tu as la pureté et l’éclat du diamant…

— Ne ris pas, Patrice. Notre bonheur est une chose sérieuse…

— Mais non pas tragique, et comme rien ne le menace il est permis de s’égayer un peu en ce soir qui est l’anniversaire…

Il acheva d’un ton plus grave malgré sa légèreté voulue :

— Du plus beau jour de ma vie…

— Et de la mienne, répondit tout bas Dominique. C’est vrai, Patrice, je n’existe que depuis toi. Je…

Elle s’interrompit. Le maître d’hôtel apportait le café qu’il servit en personne, comme pour les clients de marque.

— Monsieur et Madame veulent-ils des liqueurs ?

— Oui, pour moi une fine-maison. Et toi, Dominique ?

— Oh moi, non, rien…

— Mais si, prends un peu de kummel, c’est la seule liqueur que tu aimes.

— Soit…

— Patrice, ce n’est pas raisonnable, reprit la jeune femme quand le maître d’hôtel se fut éloigné. Je n’ai pas voulu dire non, mais tu sais que la moindre chose me tourne la tête. J’ai horreur de ça…

Il rit.

— Ma chérie, cela m’amuserait extrêmement de te voir un peu grise en l’honneur de notre anniversaire, mais il n’y a pas cela à craindre… ou à espérer… Tu as bu à peine en dinant un verre de Bourgogne… Veux-tu une cigarette ?

— Oui.

Il lui offrit une fine cigarette d’Orient et alluma un cigare.

Un moment ils ne parlèrent plus. Dominique alanguie par la douceur de l’heure et aussi par l’action du kummel dont on lui avait servi un verre à dégustation qu’elle buvait à petits coups sans y penser, suivait du regard vaguement les volutes gris-bleu de sa