Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/14

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— Oui… oui… Jacques Aubrieux…, balbutia le jeune homme. Jacques, mon ami d’enfance, je cours chez sa femme… elle doit être folle de douleur…

— Puis-je vous offrir mon assistance ? Je suis le prince Rénine. Madame et moi, nous serions heureux de voir Madame Aubrieux et de nous mettre à sa disposition.

Le jeune homme, bouleversé par la nouvelle qu’il avait lue, semblait ne pas comprendre. Il se présenta gauchement :

— Dutreuil… Gaston Dutreuil…

Rénine fit signe à Clément, son chauffeur, qui attendait à quelque distance, et poussa Gaston Dutreuil dans l’automobile, en demandant :

— L’adresse ? l’adresse de Mme Aubrieux ?

— Avenue du Roule, 23 bis.

Dès que Hortense fut montée, il répéta l’adresse au chauffeur, et, aussitôt en route, voulut interroger Gaston Dutreuil.

— Je connais à peine l’affaire, dit-il. Expliquez-moi en deux mots. Jacques Aubrieux a tué un de ses proches parents, n’est-ce pas ?

— Il est innocent, monsieur, répliqua le jeune homme qui paraissait incapable de donner la moindre explication. Innocent, je le jure… Voilà vingt ans que je suis l’ami de Jacques… Il est innocent… et ce serait monstrueux…

On ne put rien tirer de lui. D’ailleurs le trajet fut rapide. Ils entrèrent dans Neuilly par la porte des Sablons et, deux minutes plus tard, s’arrêtaient devant une étroite et longue allée, bordée de murs, qui les conduisit vers un petit pavillon à un seul étage.

Gaston Dutreuil sonna.

— Madame est dans le salon avec sa mère, déclara la bonne qui ouvrit.

— Je vais voir ces dames, dit-il en emmenant Rénine et Hortense.

C’était un salon assez grand, joliment meublé, qui, en temps ordinaire, devait servir de cabinet de travail. Deux femmes y pleuraient, dont l’une assez âgée, aux cheveux grisonnants, vint au-devant de Gaston Dutreuil. Celui-ci expliqua la présence du prince Rénine et, tout de suite, elle s’écria en sanglotant :

— Le mari de ma fille est innocent, monsieur Jacques ! mais c’est le meilleur des hommes… un cœur d’or ! Lui, assassiner son cousin !… Mais il l’adorait, son cousin ! Je vous jure qu’il est innocent, monsieur ! Et on va commettre l’infamie de le tuer ? Ah ! monsieur, c’est la mort de ma fille.

Rénine comprit que tous ces gens vivaient, depuis des mois, dans l’obsession de cette innocence, et dans la certitude qu’un innocent ne pouvait pas être exécuté. La nouvelle de l’exécution, inévitable maintenant, les rendait fous.

Il s’avança vers une pauvre créature courbée en deux, et dont le visage, tout jeune, encadré de jolis cheveux blonds, était convulsé par le désespoir. Déjà Hortense s’était assise auprès d’elle et doucement l’avait attirée contre son épaule. Rénine lui dit :

— Madame, je ne sais pas ce que je peux faire pour vous. Mais je vous affirme sur l’honneur que, s’il y a quelqu’un au monde qui peut vous être utile, c’est moi. Je vous supplie donc de me répondre comme si la clarté et la netteté de vos réponses pouvaient changer la face des choses, et comme si vous vouliez me faire partager votre opinion sur Jacques Aubrieux. Car il est innocent, n’est-ce pas ?

— Oh, monsieur ! fit-elle avec un élan de tout son être.

— Eh bien ! cette certitude que vous n’avez pas pu communiquer à la justice, il faut me l’imposer. Je ne vous demande pas d’entrer dans les détails et de revivre l’affreux calvaire, mais simplement de répondre à un certain nombre de questions. Le voulez-vous ?

— Parlez, monsieur.

Elle était dominée. En quelques phrases, Rénine avait réussi à la soumettre et à lui insuffler la volonté d’obéir. Et, une fois de plus, Hortense comprit tout ce qu’il y avait en Rénine de force, d’autorité et de persuasion.

— Que faisait votre mari ? demanda-t-il, après avoir prié la mère et Gaston Dutreuil de garder un silence absolu.

— Courtier d’assurances.

— Heureux en affaires ?

— Jusqu’à l’autre année, oui.

— Donc, depuis quelques mois, des embarras d’argent ?

— Oui.

— Et le crime a été commis ?

— En mars dernier, un dimanche.

— La victime ?

— Un cousin éloigné, M. Guillaume, qui habitait Suresnes.

— Le montant du vol ?