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JE SAIS TOUT

— Votre oncle était décomposé. Je dus le soutenir et le soigner, car il perdit connaissance. À son réveil, les dessins s’étaient effacés.

— Et il n’a rien dit ?

— Il restait silencieux, les yeux au mur. Alors, je l’ai interrogé : « Qu’est-ce que c’est, parrain ? » Au bout d’un instant, il m’a répondu : « Je ne sais pas… je ne sais pas… le rayonnement peut-être dont je t’ai parlé… le rayon B. Ce serait un phénomène de matérialisation… » Il n’en dit pas davantage. Un peu après, il me reconduisait à la porte du jardin. Depuis, il s’est enfermé dans l’Enclos. Je ne l’ai revu que tout à l’heure…

Elle se tut. Je demeurai soucieux et fort intrigué par cette révélation.

— Ainsi, murmurai-je, selon toi, Bérangère, la découverte de mon oncle aurait un rapport avec ces trois figures ? Des figures géométriques, n’est-ce pas ? des triangles ?

Avec ses deux pouces et ses deux index, elle formait un triangle.

— Tenez… voici la forme… Quant à leur disposition…

Elle ramassa une branche, et elle se mettait à tracer des lignes dans l’allée quand un coup de sifflet retentit. Elle s’écria :

— C’est le signal de parrain quand il a besoin de moi dans l’Enclos.

— Non, lui dis-je. Aujourd’hui, ce signal me concerne. C’est convenu.

— Il a donc besoin de vous ?

— Il veut me parler de sa découverte.

— Alors, j’y vais également.

— Il ne t’attend pas, Bérangère.

— Mais si, mais si…

Je la saisis par le bras. Elle m’échappa et courut jusqu’en haut du jardin, où je la retrouvai devant une petite porte massive pratiquée dans une palissade de madriers qui reliait un hangar et un mur fort élevé.

Elle entrouvrit cette porte… J’insistai :

— Tu as tort, Bérangère. Cela va le contrarier.

— Vous croyez, vraiment ? dit-elle, un peu indécise.

— Sans aucun doute, puisque c’est moi seul qu’il a convié. Allons, Bérangère, sois raisonnable.

Elle hésitait. Je passai et refermai la porte sur elle.

II

Les « cercles triangulaires »

Ce qu’on appelait à Meudon l’Enclos de Noël Dorgeroux, était une sorte de terrain vague où des chemins se perdaient parmi l’herbe jaune, les orties et les pierres, les tonneaux accumulés, la ferraille, les cages à lapins, tous les débris de ce qui ne sert plus, et qui pourrit, se rouille et tombe en poussière.

Aux murs et aux palissades extérieures s’appuyaient les ateliers, reliés entre eux par des courroies et des arbres de transmission, les laboratoires remplis de fourneaux, d’appareils à gaz, d’innombrables cornues, de flacons et de vases où se trouvaient les produits les plus délicats de la chimie organique.

La vue s’ouvrait librement sur la boucle de la Seine que l’on dominait de près de cent mètres et sur les collines de Versailles et de Sèvres qui faisaient à l’horizon un grand cercle, vers lequel s’inclinait, dans le bleu pâle du ciel, un clair soleil d’automne.

— Victorien !

Au seuil de l’atelier où il se tenait le plus souvent, mon oncle me faisait signe. Je traversai l’Enclos.