Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/119

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ment ce corps que gonflait le sang d’un étranger. Rien non plus n’indiquait une transformation. « Et cependant, se dit-elle, c’est comme Robert, il n’est plus le même. » Son corps actuel et son corps de la veille étaient distincts l’un de l’autre. Une seconde avait suffi pour que s’opérât cette irréparable métamorphose.

Et elle l’aimait aussi ce corps neuf, ce corps d’amour, ce corps d’adultère, comme elle le proclama tout haut, par une sorte de bravade.

Elle se mit au lit. Son ivresse persistait. Elle se répéta à diverses reprises :

— J’ai un amant, enfin j’ai un amant.

Cette phrase lui était d’une douceur ineffable. Pas un instant l’image de Richard n’assiégea son esprit. Un homme l’avait possédée, elle le savait, mais ne prêtait à cet homme qu’une attention secondaire. Les détails de l’acte consommé restaient vagues, ne l’occupaient pas comme la plupart des femmes qui recueillent pieusement l’histoire de leur chute. Seul, l’intéressait le résultat de sa conduite : elle avait un amant. Elle se sentit plus complète. La seconde phase de sa vie de femme s’ouvrait devant elle.

À l’arrivée de Robert, elle feignit le sommeil. Il se coucha, lui baisa les cheveux, et ils s’endormirent côte à côte, l’haleine confondue, des coins de leur chair en contact, dans l’intimité du lit nuptial.