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Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/170

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de fleurs en porcelaine. Elle y vit sa propre image, constata la fatigue de ses traits, la flétrissure de sa peau, le bleuissement ridé de ses paupières, sa pauvre figure lasse et ravagée. Le corps jeune et ferme dont elle devinait les lignes lui rappela son corps à elle, pesant et sans formes. Et elle eut l’intuition brusque qu’elle était vieille, infiniment vieille, aussi vieille que les plus vieilles, puisque l’âge d’aimer était passé.

Pour la première fois, cette idée la frappait. Elle en tira une grande tristesse, et soudain beaucoup de mansuétude. Elle devait pardonner, car l’outrage ne l’atteignait pas, elle qui n’avait aucun droit à l’amour. Toute trace de jalousie s’évanouit. Un rôle plus noble lui apparut, un rôle de bonté et de conciliation.

Elle posa sa main sur la main de Lucie, et lentement, sans amertume :

— Petite, je sais tout, et pourtant c’est en amie que je viens.

L’autre ne songea même pas à nier.

— Ah !… ah !… vous savez… comment ?

— Oh ! bien simplement : une lettre anonyme adressée à ton mari.

Mme Chalmin tressaillit :

— À Robert ?… Dans ce cas… il sait…

— Non, il ne sait rien, la lettre ne désigne pas ton complice, et d’ailleurs sa confiance en toi est inébranlable.