Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/292

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la contentait. Elle ignorait la rancœur et le découragement de ceux qui ne peuvent étreindre leur rêve.

Malgré toute apparence, elle n’était pas vicieuse. On l’avait corrompue ou plutôt elle avait exigé qu’on la corrompît. Néanmoins son tempérament demeurait sain et réfractaire aux perversions. Sa conduite ne provenant ni d’appétits physiques, ni de besoins tendres, ni d’une recherche de jouissances raffinées, quelles forces la dirigeaient ?

L’orgueil d’abord, l’orgueil de sa chair : ses yeux vous guettaient, mendiaient un geste d’admiration ; dégrafer son corsage devant un inconnu lui procurait une joie si aiguë qu’elle devait nécessairement en désirer le retour.

Puis une réelle dépravation morale, léguée par son père, cultivée par M. Bouju-Gavart, et s’accroissant de chaque vilenie commise. Elle ne discernait plus la valeur de ses actions. Elle ignorait absolument sa déchéance. Dans la rue, dans un lieu public, elle comptait ceux qui l’avaient possédée, et de leur quantité souriait fièrement.

Enfin, surtout, l’ennui. La province est fastidieuse. Une femme jolie, séduisante, douée d’un mari quelconque et d’instincts maternels ou religieux peu développés, succombera. Quelles distractions pourraient l’en empêcher ?