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Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/308

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L’eau bleue dormait sous le ciel à peine plus pâle. Aucun souffle n’en faisait palpiter la surface. Elle ne respirait pas. On la sentait paresseuse, flâneuse, incapable de révolte et de méchanceté comme les océans, ces mâles qui se cabrent, rugissent et engloutissent. On l’eût crue morte plutôt. Et de cette impassibilité naissait une paix infinie, la paix de ces contrées qui vous sature l’âme, et la détend comme un bain réparateur.

Lucie s’efforçait d’admirer. À voix basse elle répétait : « C’est magnifique. » Les détails surtout la subjuguaient. Une petite barque blanche tachetait la mer au loin, et elle s’étonnait qu’elle changeât de place, bien qu’en apparence immobile.

Mais les arbres captivaient son attention. Ils diffèrent tellement de ceux que l’on contemple d’ordinaire ! Un eucalyptus se dressait à quelque distance, énorme, imposant, d’un vert sombre, les feuilles en forme de larmes. Son tronc s’écaillait, comme un écorché dont on détache des bandes de peau. Tout proche, un morceau de jardin montrait un échantillon des diverses essences exotiques. De frêle bambous titubaient les uns contre les autres. Au bout de sa haute tige un yucca perchait sa tête de loup aux cheveux épandus. Un aloès gigantesque, d’une symétrie de candélabre, hérissait ses feuilles