Page:Lebreton - Biographie rouennaise.djvu/78

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trée par le génie de Corneille, qu’on y voyait encore briller de tout son éclat, et où commençait à poindre le génie de Racine, qui se montrait déjà si pur et si rayonnant dans Andromaque.

Ce fut dans cette pièce que la Champmeslé parut devant de nouveaux spectateurs, composés en majeure partie de tout ce que la France comptait alors de plus distingué. Jamais le rôle d’Hermione, dans les passages où sont exprimées avec tant d’énergie les passions les plus contraires et les plus violentes de l’âme, n’avait été rendu avec un pathétique aussi entrainant, avec une vérité d’expression aussi frappante. Témoin de ce brillant coup d’essai qui révélait tout-à-coup une grande tragédienne, une femme venait de s’écrier : Il n’y a plus de Descillets » C’était l’actrice de ce nom, qui, elle aussi, avait obtenu tant de succès dans le même rôle, et à laquelle, assure- t-on, un sentiment de justice plutôt que de jalousie arrachait cette exclamation en faveur d’une rivale qui la détrônait. Louis XIV lui-même, qui assistait à cette représentation, manifesta avec sa bienveillance accoutumée toute la satisfaction que le talent de la comédienne venait de lui faire éprouver. Quant a l’auteur d’Andromaque, qui n’avait assisté à cette épreuve qu’aux pressantes sollicitations de ses amis, tant il craignait de voir défigurer son œuvre par la débutante, il fut si étonné, si satisfait de la manière dont celle-ci avait interprété les parties les plus saillantes d’un rôle qu’il aimait de prédilection, que dans son enthousiasme il courut près de l’actrice, à laquelle il s’empressa d’adresser à genoux des éloges et des remercimens. Il fit plus : il promit de lui donner le rôle principal dans sa tragédie de Bérénice, qu’il venait de terminer, et il tint parole. Aussi, bientôt guidée par ses conseils, qui, on le sait, étaient ceux d’un excellent maître en fait d’éloquence et de sentiment, la Champmeslé allait encore obtenir, ainsi que la pièce nouvelle, de glorieux suffrages et de nouveaux applaudissemens.

À ce rôle si harmonieusement élégiaque de Bérénice devaient bientôt succéder les rôles d’Atalide et de Roxane de Bajazet, qu’elle jouait alternativement, au gré de l’auteur, avec un égal succès ; le rôle de Monime dans Mithridate, d’Iphigénie dans la tragédie de ce nom, et enfin le rôle du principal personnage de cette admirable tragédie de Phèdre, chef-d’œuvre inspiré au poète par l’actrice qu’il dirigeait dans l’étude de son art, et près de laquelle ses assiduités comme maître avaient pris depuis longtems un caractère beaucoup plus tendre que celui de l’estime et de l’admiration. Ce chef-d’œuvre, qui mat- tait le comble à la gloire de l’auteur, le mettait aussi à la réputation de l’actrice, dont le talent s’était surpassé ; mais, par malheur, ce rôle était le dernier qu’elle dût créer dans les pièces du célèbre tragique, qui, pour des motifs diversement