les maris tuent leurs femmes. Les femmes s’enivrent comme les hommes et ressemblent alors à de vraies furies… » Mais qu’importaient ces scènes d’orgie et de sang aux vendeurs d’eau-de-vie ? Âpres au gain, il leur fallait de belles fourrures : pour quelques bouteilles d’eau-de-feu ils les obtenaient des Indiens. Le danger de la ruine totale des âmes imposait à l’autorité religieuse l’obligation de recourir aux mesures extrêmes.
C’est ici qu’apparaissent la prudence et l’énergie de Mgr de Laval. Il réunit les quelques membres de son clergé, prêtres séculiers et Jésuites, et leur pose la question : Est-il permis, dans les circonstances actuelles, d’excommunier ceux qui vendent de l’eau-de-vie aux sauvages ? La réponse est affirmative et unanime. Tout aussitôt, le 6 mai 1660, fête de l’Ascension, l’évêque monte en chaire, explique au peuple la situation, et termine en fulminant l’excommunication ipso facto contre ceux qui oseront à l’avenir se livrer au honteux trafic des boissons enivrantes. L’effet fut admirable : soutenue en chaire et au confessionnal, et approuvée d’abord par le gouverneur, cette mesure arrêta tout. « Les désordres, écrivait le P. Lalemant quelques mois plus tard, n’ont pas reparu depuis l’excommunication, tant elle a été accompagnée des bénédictions du ciel. »
Malheureusement, le baron d’Avaugour, dans un moment de mauvaise humeur, revint sur sa décision. Les trafiquants, toujours aux écoutes, apprenant que le gouverneur laisse toute liberté à la traite, se replongent, comme un torrent dont la digue est rompue, dans leur exécrable négoce, semant toutes les ruines parmi les païens et les néophytes.
Cette fois, le P. Lalemant écrit : « Nous perdons en un mois les sueurs et les travaux de dix et vingt années. » Le prélat, les Jésuites, les prêtres séculiers, même les capitaines des sauvages supplient le gouverneur de faire exécuter ses ordonnances sur la traite, rien ne peut fléchir ce caractère raide, absolu, entêté. L’excommunication, portée en 1660, avait été suspendue l’année suivante : l’évêque la renouvelle en 1662. De là des accès de fureur chez les négociants, des plaintes, des calomnies, des libelles contre le prélat et ses