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THESTYLIS.

Il lui plaît de hanter le mont silencieux,
Et de mêler au bruit de l’onde qui murmure
D’un cœur blessé la plainte harmonieuse et pure :

— Jeune Immortel, que j’aime et que j’attends toujours,
Chère image entrevue à l’aube de mes jours !
Si, d’un désir sublime en secret consumée,
J’ai dédaigné les pleurs de ceux qui m’ont aimée,
Et si je n’ai versé, dans l’attente du ciel,
Les parfums de mon cœur qu’au pied de ton autel ;
Soit que ton arc résonne au sein des halliers sombres ;
Soit que, réglant aux cieux le rythme d’or des nombres,
D’un mouvement égal ton archet inspiré
Des Muses aux neuf voix guide le chœur sacré ;
Soit qu’à l’heure riante où, sous la glauque Aurore,
L’aile du vent joyeux trouble la Mer sonore,
Des baisers de l’écume argentant tes cheveux,
Tu fendes le flot clair avec tes bras nerveux ;
Oh ! quel que soit ton nom, Dieu charmant de mes rêves,
Entends-moi ! viens ! je t’aime, et les heures sont brèves !
Viens ! sauve par l’amour et l’immortalité,
Ravis au Temps jaloux la fleur de ma beauté ;
Ou, si tu dois un jour m’oublier sur la terre,
Que ma cendre repose en ce lieu solitaire,
Et qu’une main amie y grave pour adieu :
— Ici dort Thestylis, celle qu’aimait un Dieu ! —

Elle se tait, écoute, et dans l’ombre nocturne,
Accoudant son beau bras sur la rondeur de l’urne,