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POÈMES ANTIQUES.


— Avez-vous vu Rama, laboureurs aux mains rudes ?
Et vous, filles du fleuve aux îlots de limons ?
Et vous, fiers cavaliers qui descendez des monts,
          Chasseurs des hautes solitudes ?

— Non ! nous étions courbés sur le sol nourricier.
— Non ! nous lavions nos corps dans l’eau qui rend plus belles.
— Non, Radjah ! nous percions les daims et les gazelles
          Et le léopard carnassier. —

Et Lakçmana soupire en poursuivant sa route.
Il a franchi les champs où germe et croît le riz ;
Il s’enfonce au hasard dans les sentiers fleuris
          Des bois à l’immobile voûte.

— Avez-vous vu Rama, Contemplateurs pieux,
L’archer certain du but, brave entre les plus braves ?
— Non ! le rêve éternel a fermé nos yeux caves,
          Et nous n’avons vu que les Dieux ! —

A travers les nopals aux tiges acérées,
Et les buissons de ronce, et les rochers épars,
Et le taillis épais inaccessible aux chars,
          Il va par les forêts sacrées.

Mais voici qu’un cri rauque, horrible, furieux,
Trouble la solitude où planait le silence.
Le jeune homme frémit dans son coeur, et s’élance,
          Tendant l’oreille, ouvrant les yeux.