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POÈMES TRAGIQUES.

Un vaste remuement de choses séculaires,
Une écume de bruits, de sanglots, de colères,
Heurtant, engloutissant par bonds prodigieux
Les vieilles nations, leur génie et leurs Dieux,
Comme, aux flots débordés par l’antique Déluge,
La jeune humanité, moins l’Arche du refuge ;
Puis un fourmillement convulsif, un concert
De cris rauques, qui roule aux sables du désert ;
Des spectres de famine accroupis dans les antres,
De leurs bras décharnés serrant leurs maigres ventres,
Hâves, hagards, haineux et rongés de remords,
Épouvantés de vivre autant que d’être morts,
Hachés de coups de fouet, et la chair haletante
Des lubriques désirs d’une éternelle attente,
Martyrs injurieux dont le rêve hébété
Blasphème la lumière et maudit la beauté !

Et l’Homme, du milieu de la Ruine immense,
De ces longs hurlements de rage et de démence
Que traversait le rire insulteur des démons,
Vit croître, se dresser, grandir entre sept Monts,
Telle que la Chimère et l’Hydre, ses aïeules,
Une Bête écarlate, ayant dix mille gueules,
Qui dilatait sur les continents et la mer
L’arsenal monstrueux de ses griffes de fer.

Un triple diadème enserrait chaque tête
De cette somptueuse et formidable Bête.
Une robe couleur de feu mêlé de sang