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POÈMES TRAGIQUES.


Puis, des rocs, leur repaire, ils regagnent les crêtes,
Outre le lourd butin, emportant au pommeau
De la selle saignante un chapelet de têtes.

C’est une écume de toute race, un troupeau
Carnassier de soudards chrétiens, de Juifs, de Druses,
Et d’arabes qui n’ont que les os et la peau.

L’un descend du Taurus ou des gorges abstruses
De l’Horeb, celui-ci du Liban, celui-là
Des coteaux du vieux Rhin, cet autre des Abruzzes.

La soif de l’or et du meurtre les assembla.
Transfuges, renégats, bandits, lèpre vivante,
Ils approchent par bonds rapides, les voilà !

Le noble destrier, qui de loin les évente,
Élargit ses naseaux, gonfle son col dressé,
S’irrite de l’odeur et hennit d’épouvante.

Magnus, sans s’abriter du heaume délacé,
Saisit sa masse, crie et frappe, assomme et tue,
Et, saignant de la nuque aux pieds, gît terrassé.

C’est en vain qu’à lutter encore il s’évertue :
Sa tête tourbillonne, et l’ombre emplit ses yeux ;
La rumeur des chevaux et des hommes s’est tue.

Est-ce la mort qui vient ? Satan, sombre et joyeux,
Va-t-il rompre à jamais tant de force charnelle,
Tant de désirs sans frein d’un cœur ambitieux ?