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POÈMES TRAGIQUES.

TALTHYBIOS.

Elle est bonne ! Et je m’en glorifie. Ah ! maudite !
Mais, au seul bruit du crime horrible où tu te plais,
Tu seras loin d’Argos chassée, et sans délais.
En exécration au peuple, vagabonde,
Et hurlante, semblable à quelque bête immonde,
Tu fuiras sans repos, demain comme aujourd’hui,
Et ton chemin criera sur tes traces !


KLYTAIMNESTRA.

Et ton chemin criera sur tes traces ! Et lui !
Et lui qui, plus féroce, hélas ! qu’un loup sauvage,
Du cher sang de ma fille a trempé le rivage,
De celle que j’avais conçue, et que j’aimais,
Aurore de mon cœur éteinte pour jamais,
Joie, honneur du foyer ! de ma fille étendue
Sur l’autel, et criant vers sa mère éperdue,
Tandis que l’égorgeur, impitoyablement,
Aux Dieux épouvantés offrait son cœur fumant !
Lui, ce père, héritier de pères fatidiques,
On ne l’a point chassé des demeures antiques,
Les pierres du chemin n’ont pas maudit son nom !
Et j’aurais épargné cette tête ? Non, non !
Et cet homme, chargé de gloire, les mains pleines
De richesses, heureux, vénérable aux Hellènes,
Vivant outrage aux pleurs amassés dans mes yeux,
Eût coulé jusqu’au bout ses jours victorieux,
Et, sous le large ciel, comme on fait d’un Roi juste,
Tout un peuple eût scellé dans l’or sa cendre auguste ?