Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
104
sacatove

héros de cette histoire, pour le moins aussi véridique que les aventures du poème mauricien.

Sacatove était d’un naturel si doux et d’un caractère si gai, il s’habitua à parler créole avec tant de facilité, que son maître le prit en amitié. Durant quatre années entières il ne commit aucune faute qui pût lui mériter un châtiment quelconque. Son dévouement et sa conduite exemplaire devinrent proverbiaux à dix lieues à la ronde. Son maître le fit commandeur malgré son âge, et les noirs s’accoutumèrent à le considérer comme un supérieur naturel. Tout allait pour le mieux dans l’habitation, quand, un beau jour, Sacatove disparut et ne revint plus. Les recherches les plus actives furent inutiles, et deux mois ne s’étaient pas écoulés, qu’il était oublié.

La famille du blanc dont il était l’esclave se composait d’un fils et d’une fille, de dix-huit et de seize ans. L’un était dur et cruel, quoique brave, comme la plupart des créoles ; l’autre était indolente et froide, avec une peau de neige, des yeux bleus et des cheveux blonds. Le frère passait sa vie à chasser dans la montagne et dans les savanes ; la sœur vivait couchée dans sa chambre, inoccupée et paresseuse jusqu’à l’idéal. Quant au père, il fumait de trente à quarante pipes par jour, et buvait du café d’heure en heure. Du reste, il en savait assez sur toutes choses pour appré-