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Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/182

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marcie

danger devenu terrible ; mais à peine la fière créole avait-elle prêté une attention passagère à ces rencontres aussitôt effacées de sa mémoire.

Les souffrances de Fleurimont étaient d’autant plus profondes, qu’elles ne pouvaient cesser que par l’oubli ou un crime. L’oubli était impossible mais le crime l’effrayait. Le mélange de vénération et d’ardeur qui l’entraînait vers Marcie brisait sa volonté ; le sentiment de son infériorité sociale le terrassait. C’est par suite de ces mouvements contraires qu’il s’était aventuré jusque sous les fenêtres de Mme de Villefranche, au risque de tout perdre, elle et lui. Il s’était donc enfui à l’arrivée de Job, et depuis ce moment il n’avait cessé sa course fiévreuse qu’à l’endroit où nous l’avons laissé, sur les bords de la ravine. Deux heures s’étaient écoulées en silence, quand des pas de chevaux et un bruit de voix le réveillèrent brusquement de sa morne préoccupation. Il tourna lentement la tête de côté, et devint pâle comme un mort en reconnaissant M. de Villefranche, sa fille et le chevalier de Gaucourt, suivis de Job, qui portait deux fusils de chasse, et d’une jeune négresse, favorite de Marcie, d’où lui était venu le diminutif de Rite. Il se cacha précipitamment derrière le quartier de roche sur lequel il était assis, et laissa passer les nobles créoles ; puis il détacha son cheval, et les suivit de loin sans jamais les perdre de vue.