Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Loin des globes flottant dans l’Étendue immense
Où le torrent sans fin des soleils furieux
Roule ses tourbillons de flamme et de démence,
Démon ! emporte-moi jusqu’au Charnier des Dieux.

Oh ! Loin, loin de la Vie aveugle où l’esprit sombre
Avec l’amas des jours stériles et des nuits,
Ouvre-moi la Cité du silence et de l’ombre,
Le sépulcre muet des Dieux évanouis.

Dorment-ils à jamais, ces Maîtres de la Terre
Qui parlaient dans la foudre au monde épouvanté
Et siégeaient pleins d’orgueil, de gloire et de mystère ?
Se sont-ils engloutis dans leur éternité ?

Où sont les Bienheureux, Princes de l’harmonie,
Chers à la sainte Hellas, toujours riants et beaux,
Dont les yeux nous versaient la lumière bénie
Qui semble errer encor sur leurs sacrés tombeau ?

Ô Démon ! Mène-moi d’abîmes en abîmes,
Vers ces Proscrits en proie aux siècles oublieux,
Qui se sont tus, scellant sur leurs lèvres sublimes
Le Mot qui fit jaillir l’Univers dans les cieux.

Vois ! Mon âme est semblable à quelque morne espace
Où, seul, je m’interroge, où je me réponds seul,
Et ce monde sans cause et sans terme où je passe
M’enveloppe et m’étreint comme d’un lourd linceul. —