Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/202

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Comme le bouc traîné de l’étable à l’autel,
Qui se débat en vain sous le couteau mortel,
Et qui saigne son sang et qui hâte son heure !
Donc, couvre tes cheveux de cendre, crie et pleure,
Car tu verras le Temple où priaient tes aïeux,
Ployé, déraciné comme un chêne trop vieux,
Dans la flamme et le bruit s’écrouler sur sa base :
Et tes murs et tes tours que l’incendie embrase
Céder en mugissant aux coups des lourds béliers,
Et tes enfants aux fers et vendus par milliers !

Quelques vieillards en deuil, assis sur tes ruines,
Voulant mourir au pied de tes mornes collines,
Leurs cheveux blancs souillés et leur robe en lambeaux,
Dans tes restes fumants choisiront leurs tombeaux ;
Car ton crime, ô Sion, par delà les nuées,
A réveillé de Dieu les foudres enchaînées ;
Ton crime a retenti, dans un sombre concert,
Des rives de ton fleuve aux sables du désert,
Comme dans Josaphat le clairon de l’Archange !
Et quand le feu vengeur aura séché ta fange ;
Quand le souffle de Dieu, de la plaine aux vallons,
Aura semé ta cendre aride en tourbillons,
Telle qu’un vil bétail, ta race vagabonde
S’en ira sans retour, errante par le monde !

Pleurez, pleurez sur vous, ô filles de Sion !
Dans ce jour d’épouvante et d’expiation
Un cri s’élèvera des hameaux et des villes :
Heureux ceux qui sont morts ! Heureuses les stériles !