Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/250

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où aboutissent les voies de l’esprit. Le reste se meut dans le tourbillon illusoire des apparences.

Le poète, le créateur d’idées, c’est-à-dire de formes visibles ou invisibles, d’images vivantes ou conçues, doit réaliser le Beau, dans la mesure de ses forces et de sa vision interne, par la combinaison complexe, savante, harmonique des lignes, des couleurs et des sons, non moins que par toutes les ressources de la passion, de la réflexion, de la science et de la fantaisie ; car toute œuvre de l’esprit, dénuée de ces conditions nécessaires de beauté sensible, ne peut être une œuvre d’art. Il y a plus : c’est une mauvaise action, une lâcheté, un crime, quelque chose de honteusement et d’irrévocablement immoral.

La poésie a ses bas-fonds, ses bagnes particuliers, où beaucoup d’intelligences mal venues ou perverties riment perpétuellement, sous prétexte de cœur humain et de sincérité, toutes les inepties qui traînent dans les ruisseaux impurs de la banalité, tous les détritus depuis longtemps balayés dans les gémonies de l’Art. Par un renversement prodigieux du sens commun, c’est là que nos risibles éducateurs vont chercher les spécimens d’originalité et de vertu qu’ils nous offrent pour modèles.

De telles excitations au mal, une persévérance si caractérisée à vouloir séquestrer la poésie dans l’ergastule critique, afin de la ployer à la servitude et de l’abêtir sans retour, mériteraient un avertissement senti, si la sérénité des bons esprits pouvait être troublée par cela. N’en parlons plus.

La vertu d’un grand artiste, c’est son génie. La pensée surabonde nécessairement dans l’œuvre d’un vrai poète,