Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/256

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sens, plus l’abîme est noir et profond. L’auteur du Roi d’Yvetot n’est pas tombé dans le domaine public, il y est né, il y a vécu, il y triomphe.

Esprit médiocre, rusé sans finesse, malicieux sans verve et sans gaieté, sous le couvert d’une sorte de bonhomie sentimentale, et mené en laisse parce bon sens bourgeois qui l’a toujours guidé, dans le cours d’une longue vie, avec l’infaillibilité de l’instinct ; conformant sans efforts, et en tout point, les parties successives de son œuvre à l’opinion moyenne ; dénué d’études historiques, métaphysiques, religieuses ; très hostile, de nature et de parti pris, à la grande poésie anglaise, allemande, orientale, ainsi qu’à notre propre renaissance littéraire, Béranger, on peut l’affirmer, n’a jamais pensé, rêvé, jamais entrevu l’Art dans sa pure splendeur, jamais écrit que sous l’obsession permanente des étroites exigence de sa popularité.

Manquant de souffle et d’élan, parlant une langue sénile, terne et prosaïque, se servant avec une incertitude pénible d’un instrument imparfait, emprisonné dans un pauvre et grossier déisme sans lumière et sans issue, aucun homme ne devait charmer, et n’a charmé en effet, à un égal degré, la multitude des intelligences paresseuses, ennemies de la réflexion et des recherches spéculatives ; aucun homme, enfin, n’a été moins original dans le vrai sens du terme. Et c’est pour cela que, de Canton à Lima, d’Arkangel au cap de Bonne-Espérance, sur la face du globe, partout où la langue française est comprise ou traduite, il n’est qu’une seule gloire qui puisse balancer la sienne, celle de l’illustre Scribe. On le voit, nous