Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/281

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et le génie aux imbéciles. Il serait aussi facile aux chimpanzés de donner des leçons de zend et de sanscrit à leurs petits, « Maître de l’éducation, maître du genre humain, » a dit Leibnitz. Rien de plus communément accepté, rien de plus faux. Les hommes ne se pétrissent pas entre eux comme des morceaux de terre glaise.

Le poète satirique est un moraliste par excellence, pourvu qu’il ne s’abaisse pas au niveau des excitateurs à la vertu par l’appât des mauvaises rimes, lesquelles manquent rarement leur effet fascinateur sur les natures vicieuses. Dès qu’il cède à cette tentation déplorable et qu’il monte en chaire, l’artiste meurt en lui, sans profit pour personne ; car il n’existe d’enseignement efficace que dans l’art qui n’a d’autre but que lui-même. Hors la création du beau, point de salut. Les impuissants seuls professent au lieu de créer. Ils ignorent, ou feignent d’ignorer que la beauté d’un vers est indépendante du sentiment moral ou immoral, selon le monde, que ce vers exprime, et qu’elle exige des qualités spéciales, extra-humaines en quelque sorte.

Mettre en relief et en lumière, avec vigueur, justesse et précision, les vices et les ridicules individuels ou sociaux, voilà l’unique mission du satirique. Du reste, qu’il use en pleine et absolue liberté de toutes ses ressources ; qu’il soit, à son gré, grave, éloquent, bouffon, brutal, spirituel, passionné : l’espace sans frontières de la poésie est à lui. S’il se garde d’attacher son nom aux faits étroitement contemporains et de le laisser clouer, en guise d’écriteau, sur un événement quelconque, souvent insignifiant et même ridicule à certains égards, tel que la