time, exprimant pour tous ce que chacun n’est apte à
connaître que par elle, et ne montrant rien à qui ne sait
point voir. Aussi est-ce une démence inexprimable que
de vouloir obstinément transformer les libres créations
du génie individuel en une plate série de lieux communs,
de maximes, de sentences, de préceptes, ou pis encore,
de descriptions enthousiastes de mécaniques. Cette ardeur
indécente et ridicule de prosélytisme moral, propre aux
vertueuses générations parmi lesquelles la nôtre tient
assurément la première place, non moins que cette étrange
manie d’affubler de mauvaises rimes les découvertes
industrielles modernes, sont des signes flagrants que le
sens du beau, si profondément altéré déjà, tend à
disparaître absolument.
Au milieu de l’affreuse confusion où les esprits s’agitent et se heurtent en face de l’indifférence publique, on distingue encore un groupe restreint de poètes fort paisibles qui poursuivent leur route, contre vent et marée, parfaitement sourds aux imprécations des uns et peu surpris du silence ahuri de la foule. Ce sont de vrais artistes, sans vanité misérable et sans rancunes puériles, convaincus et patients, patients à rompre le mutisme des imbéciles et à exténuer les poumons robustes des insulteurs. Un des mieux doués, également remarquable par l’originalité de ses conceptions et par la langue précise, neuve et brillante qu’il s’est faite, bien connu de ceux dont l’estime sérieuse ne fait jamais défaut aux fermes défenseurs de la vérité littéraire, M. Charles Baudelaire possède une personnalité nette et arrêtée qu’il affirme et qu’il prouve.