Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/288

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Doué d’un esprit très lucide, d’un tact très fin et d’une rare compréhensivité intellectuelle, l’auteur des Fleurs du Mal, des Paradis artificiels et de la traduction des œuvres d’Edgard Poe, a blessé violemment, tout d’abord, le sentiment public, non seulement dans celles de ses poésies qui touchaient à l’excès, mais aussi dans ses conceptions les plus réfléchies et revêtues des meilleures formes. Rien que de fort simple dans les deux cas. Nous sommes une nation routinière et prude, ennemie née de l’art et de la poésie, déiste, grivoise et moraliste, fort ignare et vaniteuse au suprême degré. Ce fait est malheureusement incontesté. À la vue de ce poète sinistre — le moins offensif et le plus poli des hommes, d’ailleurs — qui venait à nous, tel qu’un guerrier chinois, avec des tigres et des dragons écarlates peints sur le ventre, nous nous sommes irrités, non de l’ironie amère et méritée, mais du dessein que nous lui prêtions de nous épouvanter. La horde cruelle et inexorable des élégiaques échappés de la barque d’Elvire et les austères conservateurs de la pudeur critique ont poussé le même cri de détresse et d’horreur. Si l’irritation est une preuve d’action, M. Baudelaire, avouons-le, a pleinement atteint son but. La seconde raison de l’hostilité qu’il a soulevée autour de lui est non moins facile à donner : c’est un artiste fort original et fort habile, et ceci, au besoin, eût suffi, car nous n’aimons pas les habiles. Nous nous sommes fait, grâce à notre extrême paresse d’esprit qui n’a d’égale que notre inaptitude spéciale à comprendre le beau, un type immuable de versification en tout genre, quelque chose de fluide et de fade, d’une harmonie flasque et banale. Dès qu’un