Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une conception particulière qui, pour n’être pas d’une exacte théologie, n’en est que plus originale. Certes, en brûlant par milliers ses misérables victimes, le vrai Torquemada, le grand Inquisiteur du xve siècle, ne pensait en aucune façon les mener à la béatitude céleste. Il tenait uniquement à les exterminer, en leur donnant sur la terre un avant-goût des flammes éternelles. Mais Victor Hugo a développé son étrange conception avec tant de verve, d’éloquence et de couleur, qu’il faut le remercier, au nom de la Poésie, d’avoir prêté cette charité terrible à cet insensé féroce qui puisait la haine de l’humanité dans l’imbécillité d’une foi monstrueuse.

Dès les brillantes années de sa jeunesse, et concurremment avec ses poèmes et ses romans qui sont aussi des poèmes, doué qu’il était déjà d’une activité intellectuelle que le temps devait accroître encore, Victor Hugo avait révélé dans ses drames une action et une langue théâtrales nouvelles. Quand ces vers d’or sonnèrent pour la première fois sur la scène, quand ces explosions d’héroïsme, de tendresse, de passion, éclatèrent soudainement, enthousiasmant les uns, irritant la critique peu accoutumée à de telles audaces, et soulevant même des haines personnelles, les esprits les plus avertis parmi les contradicteurs du jeune Maître saluèrent cependant, malgré beaucoup de réserves, cet avènement indiscutable de la haute poésie lyrique dans le drame, bien que de longues années dussent s’écouler encore avant le triomphe définitif.

En effet, messieurs, Hernani, Marion de Lorme, le Roi s’amuse, Ruy-Blas, les Burgraves, ont suscité longtemps