Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/46

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Voici qu’un grand Taureau parut le long des côtes,
Grave et majestueux, ayant de larges flancs,
Une étoile enflammée entre ses cornes hautes
Et des éclats de pourpre épars sur ses poils blancs.

Le souffle ambroisien de ses naseaux splendides
L’enveloppait parfois d’un nuage vermeil
Tel que la vapeur d’or dont les Époux Kronides
Abritaient leur amour et leur divin sommeil.

Il vint, et dans le sable où l’écume s’irise
Se coucha, saluant d’un doux mugissement
Le beau groupe immobile et muet de surprise,
Et caressa leurs pieds de son mufle fumant.

Or, le voyant ainsi prosterné, l’une d’elles,
Dont l’œil étincelant reflétait le ciel bleu,
Plus jeune, et la plus belle entre les trois si belles,
S’assit sur ce Taureau superbe comme un Dieu.

Tandis qu’elle riait dans sa naïve joie,
Lui, soudain se dressa sur ses jarrets de fer,
Et, rapide, emportant sa gracieuse proie,
En quelques bonds fougueux s’élança dans la mer.

Les deux autres, en pleurs, sur les algues marines
Couraient, pâles, les bras étendus vers les flots,
Suppliaient tour à tour les Puissances divines
Et nommaient leur compagne avec de longs sanglots.