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POÈMES BARBARES.

Ivres de leur fureur, œil pour œil, dent pour dent,
Avec l’âpre sanglot des étreintes mortelles,
Jours et nuits, se heurtaient les nations nouvelles.
Les traits sifflaient au loin, les masses aux nuds durs
Brisaient les fronts guerriers ainsi que des fruits mûrs ;
Les femmes, les vieillards sanglants dans la poussière,
Et les petits enfants écrasés sur la pierre
Attestaient que les flots du Déluge récent
Avaient purifié le monde renaissant !
Ah ! Ah ! Les blêmes chairs des races égorgées,
De corbeaux, de vautours et d’aigles assiégées,
Exhalaient leurs parfums dans le ciel radieux
Comme un grand holocauste offert aux nouveaux Dieux !
— Ne t’en réjouis pas, rebut de la géhenne !
Dit le Moine. Aveuglé par l’envie et la haine,
Tu n’as pu voir, maudit, dans l’univers ancien,
Que les œuvres du mal et non celles du bien,
Et tu ne regardais, ô bête inexorable,
La pauvre humanité que par les yeux du Diable !
— Hélas ! Je crois, Seigneur, en y réfléchissant,
Que l’homme a toujours eu soif de son propre sang,
Comme moi le désir de sa chair vive ou morte.
C’est un goût naturel qui tous deux nous emporte
Vers l’accomplissement de notre double vœu.
Le diable n’y peut rien, Maître, non plus que Dieu ;
Et j’estime aussi peu, sans haine et sans envie,
Les choses de la mort que celles de la vie.
Dans sa sincérité, voilà mon sentiment,
Et si j’ai ri, c’était, Seigneur, innocemment.