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POÈMES BARBARES.

Ton corps, seigneur, substance et nourriture vraies,
Avec l’intarissable eau vive de tes plaies !
C’était ta chair, ô roi Jésus ! Qui pendait là,
Sur ce bois devant qui l’univers chancela,
Sur cet arbre que Dieu de sa rosée inonde,
Et dont le fruit vivant est le salut du monde !
Mon Seigneur ! Par ce prix que nous t’avons coûté,
Gloire au plus haut des cieux et dans l’éternité
Des temps, où pour jamais ta grâce nous convie,
Gloire à toi, Christ-Jésus, force, lumière et vie !

— Amen ! dit le Corbeau. Rabbi, vous parlez bien ;
Mais de ceci, pour mon malheur, ne sachant rien,
Je pris très follement mon vol pour satisfaire
Ma faim, comme j’avais coutume de le faire.
— Maudit ! cria l’Abbé, les cheveux hérissés
D’épouvante, d’horreur et de colère ; assez !
Saints Anges ! as-tu donc, ô bête sacrilège,
Osé toucher la chair trois fois sainte ? Puissé-je
Expier, par mes pleurs et par mon sang, ce fait
D’avoir ouï parler, Jésus, d’un tel forfait !
Ce vil mangeur des morts, sur la croix éternelle
Poser sa griffe immonde et refermer son aile !
Ô profanation horrible ! Seigneur Dieu !
L’inextinguible Enfer a-t-il assez de feu
Pour brûler ce corbeau monstrueux et vorace ?

— Maître, dit l’Oiseau noir, apaisez-vous, de grâce !
Et daignez m’écouter, s’il vous plaît, jusqu’au bout.