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LA TÊTE DU COMTE.


Le sang coule, et la nappe en est rouge. — Regarde !
Hausse la face, père ! Ouvre les yeux et vois !
Je ramène l’honneur sous ton toit que Dieu garde.

Père ! j’ai relustré ton nom et ton pavois,
Coupé la male langue et bien fauché l’ivraie. —
Le vieux dresse son front pâle et reste sans voix.

Puis il crie : — Ô mon Rui, dis si la chose est vraie !
Cache la tête sous la nappe, ô mon enfant !
Elle me change en pierre avec ses yeux d’orfraie.

Couvre ! car mon vieux cœur se romprait, étouffant
De joie, et ne pourrait, ô fils, te rendre grâce,
À toi, vengeur d’un droit que ton bras sûr défend.

À mon haut bout sieds-toi, cher astre de ma race !
Par cette tête, sois tête et cœur de céans,
Aussi bien que je t’aime et t’honore et t’embrasse.

Vierge et Saints ! mieux que l’eau de tous les océans
Ce sang noir a lavé ma vieille joue en flamme.
Plus de jeûnes, d’ennuis, ni de pleurs malséants !

C’est bien lui ! Je le hais, certe, à me damner l’âme ! —
Rui dit : — L’honneur est sauf, et sauve la maison,
Et j’ai crié ton nom en enfonçant ma lame.