Page:Lectures romanesques, No 128, 1907.djvu/11

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— Oui, des plagiaires !

Cosseins approuva de la tête et, satisfait sans doute de son inspection, retraversa les salles, gagna la porte du salon et disparut.

« Que diable va-t-il se passer ce soir à la Devinière ? » se demanda Pardaillan.

Le chevalier n’était pas homme à perdre son temps en méditation. Il était curieux par nature et par besoin de défense personnelle. Il n’hésita pas et résolut de connaître la vérité que Lubin ignorait selon toute vraisemblance.

Pardaillan connaissait l’hôtellerie de fond en comble.

Il se leva donc sans affectation, appela Pipeau d’un claquement de langue, et pénétra dans la salle du banquet où trois servantes effarées achevaient de mettre le couvert. Il passa rapidement, et entra dans la pièce vide en refermant derrière lui la porte. Puis il atteignit la pièce où étaient rangés des sièges, et enfin le cabinet noir.

Ce cabinet n’était d’ailleurs qu’une sorte de caveau aux murailles en pierre humide, et tout tapissé de toiles d’araignées. Il communiquait avec l’allée par la lourde porte que nous avons signalée, et avec la pièce aux sièges par une porte percée d’un judas dont le treillis disparaissait sous d’épaisses couches de poussière.

Or, ce caveau, c’était l’antichambre des caves de maître Landry.

Dans le fond s’ouvrait une trappe que fermait un couvercle à anneau de fer.

Pardaillan, toujours suivi de son fidèle Pipeau, s’enfonça dans l’escalier qui descendait aux caves, les visita soigneusement, et n’ayant remarqué rien d’anormal, revint s’installer dans le cabinet noir en laissant ouverte la trappe des caves.

Nous le laisserons à la faction volontaire qu’il s’imposait, et nous reviendrons dans la grande salle de l’auberge.

Là, vers neuf heures, apparurent trois hommes très enveloppés et portant à leurs toques des plumes rouges.

Lubin courut au-devant de ces mystérieux personnages et les introduisit dans la salle du banquet.

Dix minutes plus tard, deux autres cavaliers, puis enfin trois nouveaux, tous ayant une plume rouge à la toque, entrèrent à la Devinière et furent conduits par Lubin qui, alors, murmura :

— Huit plumes rouges. Le compte y est !

À ce moment, un moine à barbe blanche, aux yeux sournois, à la figure rubiconde, franchit à son tour le seuil.

— Frère Thibaut, s’écria Lubin en s’élançant à la rencontre du moine.

— Mon frère, dit celui-ci à voix basse, nos huit poètes sont-ils arrivés ?

— Ils sont là, répondit Lubin en désignant la salle du banquet.

— Très bien. Veuillez donc m’écouter, mon cher frère. Il s’agit de choses graves. Vous comprenez. Ce sont des poètes étrangers qui viennent discuter avec les nôtres.

— Mais, mon frère, comment se fait-il que vous soyez mêlé à des questions de poésie ?

— Frère Lubin, fit sévèrement le moine, si notre révérend et vénérable abbé, Mgr Sorbin de Sainte-Foi, a permis que vous quittassiez le couvent pour venir faire ripaille et bombance en cette auberge…

— Frère ! ah ! frère Thibault !…

— Si le révérend, prenant en pitié votre soif inextinguible, vous a donné une preuve aussi extraordinaire de sa mansuétude, ce n’est pas qu’il vous tolère par surcroît le péché mortel de la curiosité !

— Je me tais, mon frère !

— Vous n’avez pas de questions à poser. Ou sinon, vous rentrez au couvent !

— Miséricorde ! Je vous jure, mon frère… mon excellent frère…

— C’est bien. Maintenant, dressez-moi une petite table là, juste devant la porte de cette salle, car je me sens quelque appétit.

Ce disant, frère Thibaut prit une figure moins sévère ; ses yeux s’attendrirent, et il passa le bout de sa langue sur ses lèvres.

— Que vous êtes heureux, frère Lubin ! ne put-il s’empêcher de murmurer.

— Que vous donnerai-je à dîner, mon cher frère ?

— La moindre des choses : une moitié de poularde, une friture de Seine, un pâté, une omelette et des confitures, avec quatre bouteilles de vin d’Anjou… Autrefois, frère Lubin, j’en eusse demandé six ! Hélas ! nous devenons vieux…

Le moine s’installa donc devant la porte, de façon que nul ne pût entrer sans sa permission.

Lorsque Lubin eut apporté sur la table les éléments du repas modeste demandé par frère Thibaut, celui-ci reprit :

— Maintenant, frère Lubin, écoutez-moi bien. Vous connaissez l’allée qui aboutit au cabinet noir ? Eh bien, vous allez vous mettre en sentinelle à la porte de cette allée, sur la rue, jusqu’à ce que je vous en relève.

Lubin, qui voyait s’évanouir tous ses rêves gastronomiques et bachiques, poussa