Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/33

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pour la pensée et notre culte pour le néant. On donne cent mille francs d’appointements à la toux d’une chanteuse, on subventionne des entrechats et des pirouettes ; et, s’il se rencontre par hasard un homme de génie qui n’ait pas de pain, tout ce que le gouvernement peut faire en sa faveur, c’est de payer son lit de mort à l’hôpital et de l’enterrer gratis. Il semble qu’il y ait dans le monde, etde parti pris, aversion ou dégoût de tout ce qui est noble et généreux. Pour qu’on estime aujourd’hui le talent, il faut réduire l’imagination à l’état de marchandise, en vendre les produits à la toise ou par barrique. Au lieu de mettre une digue à ces scandales, l’État donne l’exemple. On fortifie nos villes contre des ennemis qui ne viendront peut-être pas : mais qui s’occupe de fortifier nos cœurs contre les vices, qui sont toujours en marche, toujours en armes ? Dans notre âge humanitaire, on néglige un peu les hommes : on travaille beaucoup en revanche à l’amélioration des chevaux. On encourage les écuries aux dépens des bibliothèques. On sert de l’avoine dorée aux lauréats du champ de Mars : on réserve la paille pour ceux de l’Institut ; les haras font fortune, et les libraires banqueroute. Il est possible que tout cela soit raisonnable et politique ; mais je n’en ai jamais rien cru, et cela me paraît aussi hideux que ridicule : c’est beaucoup dire.