Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Un fait positif, c’est que la société actuelle est corrompue. Elle est dans un état de fièvre et de décomposition indéfinissable : et, au lieu de chercher à la guérir, ceux qui devraient s’en faire les médecins s’en font les courtisans. Les écrivains flattent le mal, qu’ils devraient combattre. Nous n’avons plus de maisons de jeu, mais nous avons à chaque coin de rue deux ou trois cabinets de lecture, où le poison se loue à l’heure, où chacun se fournit à bon compte de l’immoralité qui lui manque. Pour que le monde fût sain, il faudrait qu’il fût probe ; et comment veut-on qu’il le soit, quand, non content de négliger ce qui est pur et libéral, on offre partout des primes à l’improbité des lettres ? Où en sontelles aussi ! Ce qu’on admire aujourd’hui en fait de littérature, c’est quelque chose qui n’en est pas, quelque chose d’abject qui n’a pas de nom : une grossièreté d’ignorance qui n’a d’égale que son effronterie, un fanatisme de paradoxes qui soulèvent le cœur et révoltent la raison, un amour de la fange qui prend la boue pour de l’aimant, une dévotion pour’la richesse à faire rougir le Dieu des pauvres, un étalage de cynisme qui se donne pour de la force, une perversité de talent qui fait quelquefois regretter qu’on ne punisse pas les livres en place de Grève, qui ferait croire que la librairie est l’antichambre du bagne. Qu’a-t-on le droit d’espérer de ce siècle, qui sera peut-être grand, mais qui