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Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/494

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Seras-tu, si je meurs, ingrate envers ma mort ?
Libre de mes soupçons, si quelque jour le sort
Te reporte sans moi vers la mer diaphane,
Où se baigne Genève, où se penche Lausanne,
Tes yeux, moins inconstants que ce flottant miroir,
Dans le lac oublieux croiront-ils me revoir ?
Verras-tu, le cœur gros de ton ancienne joie,
Ces rochers affilés, qu’aiguise la Savoie,
Et, comme à travers l’herbe un serpent bondissant,
La rivière qui court en sillon mugissant ?
T’y ressouviendras-tu, que ma main, la première,
T’a, sur le ciel criblé de leurs flèches de pierre,
Des pointes du Breven dénombré les sommets ?
Rediras-tu les mots, dont je les animais,
Quand, n’ayant que toi seule et Dieu pour auditoire,
J’esquissais de ces rocs le houleux territoire ?
Ces piliers décrépits, par la foudre échancrés,
Ces restes d’univers, ces marches, ces degrés,
Dont l’essor immobile escalade les nues,
Ces obélisques morts, ces colonnes chenues,
Qui, de la terre au ciel dignes ambassadeurs,
Y portent pour encens leur givre et leurs froideurs :
Au-dessus de l’orage élevant leur panache,
Ces informes géants, sculptés à coups de hache,
Qui portent l’avalanche et la mort dans leurs bras,
Ces rochers généreux, qui ne font point d’ingrats,
Auront-ils dans ton âme un écho, pour se plaindre,
Qu’il manqueà cette scène un témoin, pourla peindre ?