Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/628

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Un rien peut m’en distraire, un brin d’herbe, un oiseau,
Le lac improvisé de quelque goutte d’eau,
Où tombe une fourmi, qui se sauve à la nage :
Et je songe bien plus au vol de ce nuage,
Qui change à chaque instant de forme et de contours,
Qu’à tous les changements des plus longues amours !
Dieu, qu’après le malheur la nature est nouvelle !
La cendre de nos maux la rend encor plus belle.
Qu’il fait bon de dormir sur son lit parfumé,
Et d’aimer tant les champs, que l’on s’en croie aimé !
Le soir même, à cette heure, où notre vol décline,
Où l’âme étroitement en elle seconfine,
Et des travaux du jour cherche à se délasser :
Où, lorsque l’on est seul, on se met à penser,
A tirer de l’oubli l’histoire de ses peines,
A remâcher l’ennui des misères humaines,
Je songe rarement, ermite villageois,
A peupler mon désert des rêves d’autrefois.
J’imaginais alors, quand la lune voilée,
D’un ruisseau de velours argentait la vallée :
Quand les astres semblaient, dans l’océan de l’air,
Des poissons de phosphore endormis sur la mer,
Que toutes ces beautés avaient, pour me séduire,
Aux lèvres d’une femme emprunté leur sourire,
Et que, libre une fois, je ne pourrais jamais,
Voir, admirer, sentir, bénir ce que j’aimais.