Page:Lefèvre-Deumier - Poésies, 1844.djvu/76

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Et sa gueule en fureur cherche d’où vient l’orage.
Aveuglé par la vague et crispé par la rage,
L’aigle aspire à porter le combat dans les airs,
Et plonge, tout entier, son talon dans les chairs ;
Mais le squale irrité, que la griffe tenaille,
Veut, lui, dans son domaine, entraîner la bataille,
Et, creusantsous son poids son royaume en tombeau,
Y noyer le supplice engravé dans sa peau.
L’aigle énervé, qui juge enfin son adversaire,
Ouvre, pour se sauver, les crampons de sa serre ;
Et, lâche, épouvanté pour la première fois,
Vers ses états connus il se tourne aux abois.
Trop tard ! Il s’est rivé lui-même à la blessure,
Et l’ennemi trop lourd, qui pend à sa morsure,
Dans un étau d’écaille emprisonne le roi.
De ses membres mouillés s’il agite l’effroi,
Il s’affaiblit lui-même en s’inondant d’écumes,
Et le soleil absent ne peut sécher ses plumes.
L’effort qu’il fait pour fuir accélère sa mort.
Sur le gouffre entr’ouvert c’est en vain qu’il se tord :
De moment en moment, le nageur intraitable
Fait monter d’un degré sa tombe inévitable.
Il crie, il se soulève, il retombe : les flots,
De son gosier qui râle, étouffent les sanglots.
Le squale enfin triomphe ; et loin des airs rebelles,
L’aigle désespéré… sombre, en ouvrant les ailes.