Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/118

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qui le précèdent, c’est parce qu’il les surpasse en trois genres : la poésie lyrique, l’histoire, et la critique. La critique marche de pair avec les deux autres. Les noms illustres et les talents supérieurs y abondent. Chacun a sa marque particulière. Sainte-Beuve introduit la psychologie dans l’examen littéraire et cherche l’homme dans l’écrivain. M. Nisard fait du génie français une sorte d’être vivant, dont son histoire est le portrait. M. Patin, aussi spirituel qu’érudit, inscrit son nom sur un monument immortel, les Trois Tragiques grecs. Saint-Marc Girardin place son point de départ dans la famille et prend pour titres de chapitres, dans ses études théâtrales, non pas Sophocle, Eschyle, Racine, Corneille, Molière ; mais le père, la mère, l’épouse, la sœur. Il suit, dans les chefs-d’œuvre de la scène, la marche et la transformation des affections de famille. Son cours de littérature dramatique est une histoire des sentiments naturels. Vitet fait une exquise œuvre d’art de la critique d’art. Ses articles sur la musique ressemblent à une symphonie d’Haydn ; tout s’y enchaîne et s’y déroule avec la même souplesse, la même grâce. Ampère crée une critique nouvelle, la critique voyageuse. Pour lui, étudier le génie des grands hommes seulement dans leurs œuvres, c’est regarder une fleur dans un herbier. Il veut cueillir la plante sacrée sur le sol qui l’a fait naître, sous le soleil qui l’a fait croître. Il ne veut lire Platon que sur l’Hymette, Dante qu’à Ravenne, les Niebelungen qu’en Scandivavie, les hiéroglyphes que sur les Pyramides ! C’est un chercheur de sources du Nil, en littérature.