Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/136

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selon son habitude, sur ses deux hanches, et avec ce vague sourire perpétuellement esquissé dans ses yeux et sur ses lèvres. Était-ce gêne de nous avoir fait attendre ? Je ne sais, mais son embarras était visible. Il ne trouvait pas un mot à nous dire, et il fallut que M. Flourens rompît le silence qui devenait assez embarrassant : « J’ai l’honneur de présenter à Votre Majesté notre nouveau confrère M. de Laprade. ― M. de Laprade ? Ah ! très bien », répondit l’empereur ; puis se retournant vers Laprade de l’air le plus gracieux : « Quand prononcerez-vous votre discours, monsieur ? » Stupéfaits à ces mots, nous baissâmes la tête ; mais Villemain, avec un accent indicible de raillerie contenue, s’inclina profondément : « Votre Majesté me permettra-t-elle de lui faire observer que M. de Laprade a été reçu il y a huit jours, et que c’est précisément son discours que nous apportons à Votre Majesté ? ― Ah ! très bien, répondit l’empereur sans sourciller, je le lirai. » Puis il reprit du même ton calme : « A qui succédez-vous, monsieur ? ― A M. Brifaut, sire. ― M Brifaut ; c’était un homme de talent, n’est-ce pas ? ― Nous avons tous du talent, sire, répondit M. Villemain, toujours en s’inclinant profondément. » M. Flourens plaça son petit compliment quelque peu intéressé, que l’empereur accueillit avec une bienveillance distraite qui prouvait clairement qu’il n’en écoutait pas un mot, puis, après quelques phrases insignifiantes, il nous congédia avec un salut plein de grâce et de bonne grâce. A peine sommes-nous réinstallés dans la voiture académique, que Villemain éclate de rires sardoniques, triomphant,