Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/149

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Le mot est cornélien. Eh bien, Talma, selon son inspiration, selon l’accent de l’homme du peuple, selon la physionomie des courtisans, disait cette terrible apostrophe d’une façon tout à fait différente. Tantôt, il la laissait tomber négligemment, dédaigneusement, avec une tranquillité distraite, et qui faisait un contraste effrayant avec la fureur de l’homme du peuple. Tantôt, il la lançait en plein visage, comme un cri de bête fauve, avec une violence qui vous remplissait d’épouvante ! Oh ! quel grand génie ! Ce ne fut pas un succès, ce fut un triomphe pour l’acteur. Ajoutons bien vite, et pour le poète. M. de Jouy cessa d’être l’Ermite pour s’appeler l’auteur de Sylla.


II

La Vestale, en faisant de M. de Jouy notre premier poète lyrique, lui attirait la clientèle des hommes que j’estime les plus malheureux de la création, les musiciens dramatiques. Connaissez-vous un supplice pareil ? Supposez Jupiter avec Minerve dans la tête, et pas de hache pour la faire sortir. Pire encore est la position d’un musicien de théâtre. Non seulement il ne peut pas enfanter, mais il ne peut pas concevoir à lui tout seul. Il se sent plein d’idées vibrantes, vivantes, frémissantes, et elles s’agitent stérilement dans sa malheureuse cervelle, s’il ne trouve pas, pour leur donner un