Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/163

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au lit. Comme tous les hommes qui dorment mal, il se levait toujours fort tard. A peine m’apercevait-il, « Ah ! vous arrivez bien, me disait-il, j’ai ajouté ce matin une tirade à Isabelle (c’était le titre de cette pièce infinie et indéfinie). Je ne la crois pas mal ! Je vais vous la dire ! » Et le voilà se dressant sur son séant, avec son gilet de futaine grise, son foulard à cornes fantastiques, le nez barbouillé de tabac, prenant son manuscrit qui couchait avec lui, et me récitant avec une voix tonnante et des yeux flamboyants, des vers pleins de talent, d’éclat, et rimés… comme Banville ne rimerait pas mieux !… Oui, mon cher Monsieur de Banville, M. Dupaty a vanté et inventé avant vous la consonne d’appui ! Aussi ne lui marchandais-je pas des éloges qui ne coûtaient rien à ma sincérité. Ami de mon père, il était plein de bienveillance pour moi, et me disait en riant : « Travaillez pour nous et je serai votre maréchal des logis à l’Académie. »

En 1838, il me rendit un véritable service dramatique. Le Théâtre-Français annonçait la première représentation de Louise de Lignerolles. Le sujet du drame était l’adultère du mari. A la fin du quatrième acte, Louise sauvait généreusement sa rivale. Son mari, transporté de reconnaissance et d’admiration, se jetait éperdu aux pieds de sa femme, et alors s’engageait entre eux une scène pathétique sur laquelle nous comptions beaucoup. Dupaty assistait à une des dernières répétitions. A peine l’acte terminé : « Coupez la scène finale, me dit-il vivement. Coupez la scène ! Pas d’explication ! Vous tuez l’effet. L’effet est dans le