Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/233

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tut un moment, puis refusa, en alléguant le nombre de ses leçons.

« Ce n’est pas une raison sérieuse, lui dis-je : M. Bertrand a autant d’élèves que vous et il accepte. J’ai connu peu d’hommes plus fins que M. Lozès ; il avait un petit œil méridional et une petite tête d’oiseau qui étaient la malice même. Il me regarda en souriant et déclina mon offre.

« Monsieur Lozès, repris-je alors, on m’avait dit que vous étiez un homme d’esprit, et vous me le prouvez. M. Bertrand, dans les luttes de passage, n’est pas toujours tout à fait lui-même ; son impétuosité native, sa rage de tout écraser lui ôtent parfois une partie de ses avantages en lui enlevant la possession de lui-même ; mais à la seconde rencontre il se calme et domine son adversaire, parce qu’il se domine. Donc, ou je me trompe fort, ou au quatrième assaut… Monsieur Lozès, vous êtes un homme d’esprit. »

L’assaut n’eut donc pas lieu, mais l’antagonisme subsista, et bientôt un duel s’ensuivit. Lozès reçut un léger coup d’épée à l’épaule, Bertrand une piqûre au bas du tibia, à la hauteur de la cheville. Je puis en parler savamment, car je pris leçon avec Bertrand à l’issue du duel, et son pantalon portait encore le petit trou et la petite tache de sang qui marquait la place de l’égratignure… placée un peu bas.

Ainsi finirent les duels de Bertrand, et bientôt aussi il renonça aux assauts publics, pour se consacrer tout entier au professorat. Il y porta la double supériorité de