Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/322

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d’une mélodie de Schubert, se troubler tout à coup en voyant entrer Berlioz, et achever comme un écolier un morceau qu’il avait commencé comme un maître. Berlioz ne se doutait pas qu’il inspirât de tels sentiments, et s’il l’eût su, il en eût souffert ! car toute sa malice sardonique tombait à l’instant devant la crainte d’affliger même un homme obscur.

Je ne sais quel pianiste étranger, inventeur de je ne sais quelle méthode de piano, vient trouver Berlioz et lui demande un article. Berlioz le congédie assez brutalement. Insistance du pianiste.

« Mettez ma méthode à l’épreuve, monsieur Berlioz.

— Eh bien, soit ! j’accepte. Je vous enverrai un enfant qui veut être pianiste, malgré moi, malgré ses parents, malgré la musique ! Si vous réussissez avec lui, je vous fais un article. »

Qui lui envoie-t-il ? Ritter ! Ritter à qui il recommande bien de cacher son talent. Au bout de deux leçons, Berlioz rencontre l’inventeur :

« Eh bien, votre élève ?

— Oh ! il a la tête bien dure, les doigts bien lourds, pourtant, je n’en désespère pas ! »

Bientôt nouvelle rencontre :

« Hé bien ?

— Cela marche ! cela marche !

— J’irai l’entendre chez vous demain. »

Le lendemain, arrive Berlioz qui dit tout bas à Ritter :

« Joue tout ton jeu ! »

Le morceau commence, et voilà les gammes, les trilles, les traits qui partent à toute volée ! Vous vous imaginez