Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/328

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— Et elle vous aime ?

— Elle me le dit… Elle me l’écrit…

— Il me semble que si, en outre, elle vous le prouve…

— Eh ! sans doute, elle me le prouve… Mais qu’est-ce que cela prouve, des preuves ?

— Oh ! nous voilà dans le cinquième acte d’Othello !

— Tenez, prenez cette lettre… ne craignez pas d’être indiscret en la lisant, elle ne porte pas de signature ; lisez et jugez. »

La lettre lue, je ne pus m’empêcher de lui dire :

« Ah çà, où trouvez-vous là un sujet de vous affliger ? Cette lettre part d’une femme supérieure ; de plus, elle est pleine de tendresse, de passion… Qu’y a-t-il donc ?…

— Il y a, s’écria-t-il en m’interrompant avec désespoir… il y a que j’ai soixante ans !

— Qu’importe, si elle ne vous en voit que trente !

— Mais regardez-moi donc ! Voyez ces joues creuses, ces cheveux gris, ce front ridé !

— Les rides des hommes de génie ne comptent pas. Les femmes sont fort différentes de nous. Nous ne comprenons guère, nous, l’amour sans la beauté. Mais elles s’éprennent dans un homme de toutes sortes de choses. Tantôt c’est le courage, tantôt la gloire, tantôt le malheur ! Elles aiment parfois en nous ce qui nous manque.

— C’est ce qu’elle me dit, quand elle voit mes désespoirs !…

— Vous lui en parlez donc ?