Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/411

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lieu de Cauterets. Oh ! ma foi !… Je n’y peux plus tenir ! Il faut bien que je l’amuse un peu, ce pauvre oncle ! » Et elle lui dit tout. Troisième étape, c’est l’indiscrétion par ennui. Le soir arrive, les promeneurs sont revenus, on est au cercle, on cause. « Il faut que je vous raconte une jolie histoire, » s’écrie tout à coup l’Oncle. La nièce a beau le tirer par la basque de son habit. « Sois tranquille, lui répond-il tout bas, je gazerai. » Et il gaze si bien qu’au bout de cinq minutes, tout le monde a reconnu le héros de l’histoire, et qu’un des assistants se lève et dit tout haut : « Pardon, monsieur, vous oubliez quelque chose dans votre récit… le nom du mari. Ce mari, c’est moi. »

Mon sujet enchanta Goubaux. Nous fîmes le plan de la pièce dans la soirée, je l’écrivis dans la nuit, et le lendemain, nous demandions lecture au Théâtre-Français, pour une comédie en un acte, intitulée : Le Soleil couchant.

Nous voilà devant ce terrible comité. Il n’était pas comme aujourd’hui, une sorte de conseil des dix, impassibles et muets comme des juges, ce qui fait ressembler l’auteur à un accusé. Les actrices, même les jeunes, y figuraient. Cela jetait une note gaie dans la séance. On riait aux scènes comiques ; on pleurait aux scènes touchantes, on applaudissait aux passages brillants ; c’était une sorte de répétition générale qui renseignait l’auteur sur les parties faibles ou fortes de sa pièce ; le silence même était une leçon. Je n’entendis que cette leçon-là à cette lecture. Elle dura une heure, je lus avec toute la chaleur, toute la conviction de mes vingt-neuf ans. Pas